Deux artistes, elle est à l’Ouest et lui à l’Est
A l’Est, en Ukraine, une autre bataille que celle des missiles mène son combat, celle de l’image, une guère intellectuelle confiée au lieutenant-colonel Taras Borovok qui sert dans le Commandement des Forces Terrestres Ukrainiennes, notamment au département d’information et de surveillance. Il est l’homme qui dynamise l’engagement des soldats et conforte la résilience de son peuple.
A l’Ouest, en France, Lisa Schettner, une Lotoise, auteure-compositrice-interprète, douée d’une intense créativité, apprend l’agression russe. Bouleversée, en une nuit, elle composera Hands Off Ukraine, avec la voix d’un rappeur tchèque sur des rythmes hip-hop, qu’elle publie sur YouTube.
Taras Borovok, le propagandiste

Aux premiers jours de la guerre, Taras Borovok concevait un hymne de résistance surnommé Bayraktar*, diffusé par toutes les radios ukrainiennes et à l’international sur les réseaux sociaux. Taras rapporte : « Je suis extrêmement heureux que mon Bayraktar, en ridiculisant les occupants russes et en glorifiant l’armée ukrainienne et ses armes, soit devenu une chanson avec laquelle les gens protestent près des ambassades russes dans tous les pays du monde. Certains rient en disant que la chanson est devenue une puissante publicité pour le fabricant turc Baykar. Peut-être. Mais pour les Ukrainiens, cette chanson est devenue un élément fédérateur entre l’armée et la société. »
* Bayraktar : un drone portant le nom de son fabricant turc Baykar, et gendre du président Erdogan. Les bayraktar TB2 ont anéanti partie du convoi de 60 km qui se dirigeait vers Kiev dès les premiers jours de l’agression russe.
Une belle rencontre artistique

Rencontre fortuite
Une semaine plus tard, Taras Borovok est subjugué en visionnant le clip de Liz. Ils se lient virtuellement et c’est l’entente immédiate. Ils décident de mélanger leur rythmes et paroles et produisent Bayraktar Mashup Edition. « Élisabeth Schettner m’a suggéré de créer une combinaison de sa chanson Hands Off Ukraine avec mon Bayraktar. Nous l’avons fait, puis nous avons commencé à parler d’autres sujets. Après tout, c’est la guerre en Ukraine qui nous a présentés l’un à l’autre. De ma conversation avec Élisabeth, j’ai compris que les Français sont des gens intelligents, éduqués et lucides, qu’ils comprennent les injustices de la guerre russe, et soutiennent l’Ukraine ».
L’homme de la situation
Qui est vraiment Taras Borovok nous est précisé par lui-même « J’ai une formation militaire supérieure, diplômé de l’académie militaire, de philologie, de psychologie et en journalisme “. Il complétera avec humour « J’ai combiné la créativité, la psychologie, le journalisme et les affaires militaires, c’est le “set” à 100 % pour un propagandiste militaire idéal ». Il précise « le mot propagandiste est souvent utilisé avec une connotation négative. Avec la propagande, vous pouvez convaincre toute une nation de haïr les autres nations et d’aller tuer, violer, torturer, détruire… Mais la propagande peut aussi être utilisée avec de bonnes intentions : s’entraider, développer son pays et les relations avec le monde ».
Le lieutenant-colonel Borovok est l’auteur des vidéos diffusées dans les médias occidentaux. Il confirme « Je participe à la production d’un certain nombre de documentaires qui éclairent au monde sur la défense de l’Ukraine et de Kiev, sur les crimes militaires, politiques, sociaux et sexistes de l’armée russe. Le monde doit connaître toutes les horreurs que les nazis russes commettent dans notre pays en suivant les ordres des plus hauts dirigeants de Russie ».
Taras Borovok filmera les crimes de guerre de Boutcha, retransmis mondialement. Des habitants de la ville occupée de Kherson ont même joué sa chanson sur les haut-parleurs aux troupes russes.

Le choix avisé du commandement militaire
« J’ai travaillé à la télévision en tant que scénariste, présentateur, réalisateur, producteur, et au cinéma. Je fournis à notre département des liens de personnalités afin qu’ils conçoivent des messages et des chansons pour les militaires, et maintiennent ainsi leur moral. Nous réalisons également des émissions dans lesquelles nous contons les exploits de nos soldats et les actions pacifiques de nos volontaires. Je fais aussi des affiches, de courts messages texte. Les contenus doivent être très réfléchis, car la société écoute attentivement chaque mot. C’est pourquoi il est très important de transmettre les bons messages et informations afin que notre peuple sente la fiabilité de nos soldats, croit en la victoire et soit motivé pour aider nos forces armées. Et maintenant, notre nation est plus unie que jamais ».
Les services gouvernementaux et militaires ukrainiens ne sont pas sans ignorer l’usage de la propagande mensongère; Taras Borovok l’évoque en connaissance de cause : « Plus de 5 000 sources d’information russes importantes sont financées par les tristement célèbres dirigeants russes, pour tromper non seulement leur propre population, mais le monde entier. Ces médias sont des points de distribution de mensonges cyniques propagés par des outils de fraude numérique appelés Fermes à robots, et ensuite par tous les utilisateurs confiants ».
Interview de Lisa Schettner

Lisa Schettner, Lotoise, auteure, compositrice, interprète, connue aussi comme Elisabeth ou Liz, se souvient très bien de cette première nuit de mars où elle composa, enregistra et publia sur les réseaux son hymne de résistance Hands Off Ukraine, destiné à collecter des fonds pour la Croix-Rouge ukrainienne. En 2017, elle avait déjà fait un carton avec Wild s’engageant dans la défense de la nature. Aujourd’hui elle compose avec Taras Borovok, militaire ukrainien du renseignement; ensemble ils ont créé Bayraktar Mashup Edition.
Quel était ton état d’âme lorsque tu as écrit cette chanson ?
« En repensant à l’invasion russe et ses massacres sur les terres ukrainiennes, je tournai dans mon lit à la recherche du sommeil qui ne venait pas, ressentant une grande tristesse, de la révolte, et de la colère. Oppressée par tous ces sentiments, j’ai compris qu’il fallait les sortir. J’ai ouvert mon cahier de compositions, et écrit en gros le titre Hands Off Ukraine; ensuite les paroles coulaient toutes seules. J’ai contacté le rappeur tchèque D-Toc, et sur des rythmes hip-hop j’ai enregistré ma voix. Cette chanson est en même temps dédiée aux personnes qui ne peuvent plus parler, à toutes les victimes qui ont souffert des régimes totalitaires, comme mon grand-père, engagé dans la résistance, à qui je dois cette flamme nommée liberté. J’aime imaginer qu’ils parlent à travers moi ».
Jusqu’où es-tu prête à aller pour la cause ukrainienne ?
J’aimerais pouvoir répondre fièrement « Partout, par tous les moyens, à tout prix, et jusqu’au bout ». Mais je ne pourrais mentir, j’ai reçu des menaces dissuasives qui me font réfléchir. Dans les commentaires sous mes chansons, des gens écrivent « on va voir si tu fais encore ta maligne quand on sera à ta porte », et des menaces bien pires reçues en messages privés. Je bloque ces personnes, mais ils reviennent sous un autre pseudo. J’en ai des nœuds dans l’estomac et l’impression d’être surveillée de près. Je suis aussi administratrice d’un serveur sur Discord, créé pour aider les Ukrainiens et lutter contre la propagande russe. Cette propagande, qui veut injecter la désinformation et la peur dans les cerveaux des gens du monde entier, se répand comme un fléau. Dans notre serveur, avec mes collègues, nous éradiquons cette peur. Si je me laissais intimider, je ne pourrais plus me respecter. L’Ukraine étant victime d’une atroce agression injustifiable, je veux continuer à soutenir leur cause. Tout comme je veux continuer à agir contre toute injustice, dans tous les domaines souffrant de la brutalité humaine, y compris la nature. Je ne peux pas porter de fusil, mais mes chansons peuvent aller plus loin qu’un projectile.
La chaîne YouTube de : Lisa Schettner
Le site de Lisa Schettner | Official