C’est ce qu’on pourrait appeler une « fake news », une fausse nouvelle. Dimanche 12 mai, dans un entretien accordé au journal La Dépêche, Pierre Médevielle, sénateur UDI de Haute-Garonne, a ainsi affirmé « que le glyphosate est moins cancérogène que la charcuterie ou la viande rouge. » Le tout en se fondant sur les auditions et analyses menées dans le cadre de son travail au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

Or le projet de rapport de l’OPECST, auquel se réfère le sénateur ne s’exprime pas sur la dangerosité de l’herbicide. Il s’intéresse à « l’indépendance et à l’objectivité des agences chargées d’évaluer la dangerosité des substances mises sur le marché », principalement les agences européennes (EFSA) et française (Anses). Dès lundi 13 mai, l’Office a ainsi pris ses distances avec les déclarations du sénateur, affirmant que « contrairement à ce qui a pu être indiqué, [le rapport parlementaire] ne se prononce pas sur la toxicité à long terme du glyphosate ». M. Médevielle a donc sciemment déformé les résultats du rapport.

Consultez le projet de rapport parlementaire (207 pages) qui sera validé par les trente-six membres de l’OPECST et officiellement publié jeudi 16 mai :

Projet de rapport parlementaire : En lecture depuis Google Drive

Projet de rapport de l’Opecst sur le fonctionnement des agences réglementaires en charge de l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux.

Vous pouvez aussi consulter l’article sur la campagne : Les Pisseurs involontaires de glyphosate.

Cette étude n’en reste pas moins instructive quant aux vives controverses ayant entouré la réautorisation du glyphosate au niveau européen en décembre 2017. A cette époque, rappelle l’OPECST, « l’existence de divergences d’appréciation sur le classement du glyphosate dans la nomenclature des substances cancérogènes (…) avait conduit les États membres de l’Union européenne à différer plusieurs fois leur positionnement ». C’est d’ailleurs cette « impression de cacophonie » participant « au sentiment que les évaluations sont biaisées et tendent à sous-estimer la réalité des risques encourus pour la santé humaine ou l’environnement » qui ont conduit deux commissions de l’Assemblée nationale à saisir l’OPECST fin 2017. L’Office a ensuite missionné quatre de ses membres, dont le sénateur Médevielle, afin de répondre à cette délicate question : « évalue-t-on correctement les effets de produits potentiellement dangereux ? »

Dans le rapport final, fruit de cette saisine des députés, les quatre parlementaires consacrent ainsi une douzaine de pages au « cas du glyphosate ». Car à l’origine de la « cacophonie » européenne se trouvent les avis plus que contradictoires de deux agences d’expertise, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) et l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) : le premier concluait en effet en mars 2015 à la nécessité de classer le glyphosate parmi les cancérogènes probables, tandis que la seconde estimait huit mois plus tard qu’il était « improbable que le glyphosate fasse courir aux humains un danger cancérogène ». En 2016, l’Agence française de sécurité sanitaire, l’Anses, rendait également un avis similaire à celui de l’EFSA.

Comment une telle divergence est-elle possible ? D’abord, explique le rapport, « le CIRC et l’EFSA ne fondent pas leur analyse exactement sur les mêmes sources » : l’EFSA fait reposer son analyse à la fois sur les études des industriels, souvent non rendues publiques, et sur les études publiées récemment dans des revues scientifiques, tandis que le CIRC examine toute la littérature scientifique publiée, « mais sans avoir nécessairement accès aux données des firmes ». Ce qui peut entraîner des différences d’analyse significatives, d’autant plus qu’en mars 2017, les « Monsanto papers », ont mis en évidence « une pratique de la société Monsanto consistant à suivre une stratégie de communication scientifique problématique, reposant sur le ‘ghostwriting’, c’est-à-dire la rédaction d’articles favorables par l’entreprise, signés ensuite par des scientifiques de renom pour donner une crédibilité forte aux documents ainsi publiés », selon les rapporteurs.

Par ailleurs, « l’EFSA effectue l’évaluation de la seule substance active et non des produits formulés tels qu’ils sont commercialisés, contrairement au CIRC qui regarde tous les produits contenant du glyphosate », poursuivent les parlementaires. Or plusieurs études tendent à montrer que les produits contenant du glyphosate, comme le Roundup, sont plus dangereux que la molécule considérée isolément. Enfin, « l’interprétation de données identiques par le CIRC et l’EFSA peut malgré tout présenter des différences, chaque organisme ayant sa propre grille d’appréciation du poids des preuves » : l’EFSA a ainsi tendance à accorder un poids moindre aux études épidémiologiques (études de cohorte et études cas-témoin) que le CIRC.

Au final, l’EFSA semble exiger des éléments de preuve plus lourds que le CIRC pour conclure à l’existence d’un lien significatif entre cancer et glyphosate, ce qui peut expliquer deux évaluations dont les conclusions ne vont pas dans le même sens.

Le cas du glyphosate n’est pas isolé. Le rapport cite Bernard Url, directeur général de l’EFSA, qui rappelait en juin 2018 que « sur 54 pesticides analysés par l’EFSA et par le CIRC, une classification équivalente a été proposée par les deux organismes dans seulement 29 cas. Sur les 25 cas pour lesquels la proposition de classification divergeait, 11 cas correspondent à une classification plus “stricte” par le CIRC ».

Pour palier aux insuffisances de l’évaluation des risques, les parlementaires font une série de recommandations. Il s’agit d’abord de « faire progresser les connaissances sur les risques et les expositions », notamment en permettant aux agences de déclencher des études indépendantes et en assurant une surveillance accrue après la mise sur le marché des substances dangereuses. Ils encouragent également les agences « à mieux identifier les effets de perturbation endocrinienne, les effets cancérogènes, mutagènes ou génotoxiques en les quantifiant précisément et en développant des outils de compréhension des risques cumulés ». Enfin, ils pointent un besoin d’ouverture des agences, via la mise à disposition du public « de l’intégralité des données figurant dans les dossiers soumis aux agences d’évaluation, afin de permettre une contre-expertise citoyenne » et une « transparence sur les liens d’intérêt et contrôler les liens d’intérêt déclarés dans le cadre d’obligations déontologiques fortes pesant sur les personnels et experts des agences ».

Le rapport de l’OPECST sera publié jeudi 16 mai. A charge ensuite aux parlementaires de s’en saisir afin d’améliorer le fonctionnement des agences d’évaluation, et d’obtenir, in fine, des informations scientifiques plus fiables sur la dangerosité du glyphosate.

Source : Reporterre

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